Perturbateurs endocriniens

Perturbateurs endocriniens

Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ?

Un perturbateur endocrinien est un agent exogène capable d’interférer avec la synthèse, la sécrétion, le transport, la liaison, l’action ou l’élimination d’une hormone endogène intervenant dans les mécanismes de régulation de l’homéostasie, du développement ou de la reproduction. Cet effet survient à très faible dose ou concentration, et ce n’est pas un effet « toxique » au sens habituel du terme, mais une « perturbation » discrète, très difficile à mettre en évidence mais qui peut avoir des conséquences graves sur les individus et les populations.

 

Toutes les processus hormonaux sont susceptibles d’être touchés, et le phénomène dépasse donc largement les seuls effets sur la reproduction auxquels le terme a d’abord été cantonné. Ces dernières manifestations sont relativement faciles à reconnaître, mais ce n’est pas le cas d’un impact sur la thyroïde ou les glandes surrénales, impossible à soupçonner d’emblée.

 

Les substances en cause sont potentiellement très nombreuses : 

Substances

Origine de la pollution de l’environnement

Stéroïdes naturels

Eaux usées - Effluents d’élevage

Stéroïdes artificiels

Eaux usées

Pesticides agricoles

Traitement des cultures

Bisphénol – Phtalates

Matières plastiques

Alkyls phénols

Industries – Détergents

Polybromodiphényléthers (PBDE)

Retardateurs de flamme dans mobilier et objets divers

Dioxines

Incinération – incendies

PolyChloroBiphényls (PCB)

Pollution récurrente par les usages industriels

Tributylétain

Peintures antisalissures des bateaux

 Les principaux perturbateurs endocriniens et les sources de pollution

 

Mécanisme d’action 

Les perturbateurs endocriniens peuvent agir de 3 façons principales

-        en reproduisant l’action de l’hormone naturelle

comme le font les xénooestrogènes, d’origine naturelle ou non, 

-        - en bloquant les récepteurs, ce qui empêche l’action de l’hormone

C’est le cas des dioxines qui bloquent les récepteurs des oestrogènes, ou des métabolites du DDT ceux des androgènes

-        en perturbant la synthèse, le métabolisme ou l’excrétion de l’hormone, ce qui modifie ses concentrations physiologiques.

C’est ainsi que le tributyl étain provoque une masculinisation des mollusques femelles car il stoppe la transformation de la testostérone en oestradiol.

Impact sur la faune sauvage

Les observations les plus flagrantes sont celles faites sur la faune aquatique, exposée à l’ensemble des polluants de l’environnement dans les cours d’eau contaminés par la pluie, le ruissellement et le rejet des stations d’épuration .

On a ainsi noté un  retard de maturation sexuelle chez des populations de daphnies, de bivalves et de crustacés dans les zones polluées du St Laurent.  Chez les poissons, des anomalies du sex ratio (déficit de mâles) sont relevés dans diverses rivières. On observe également la présence en quantité anomale de vittelogénine dans le plasma de poissons mâles, alors qu’il s’agit d’une protéine normalement produite par les femelles et accumulée dans les œufs, ainsi que  la présence d’ovocytes dans les testicules. Toutes ces anomalies qui reflètent la féminisation des populations sont relevées parallèlement à la présence d’estrogènes et de substances d’origine industrielle en particulier des alkylphénols. Ces derniers auraient également un impact sur la thyroïde et sur les glandes surrénaliennes, avec baisse de la concentration sanguine en cortisol en réponse au stress.

Chez les amphibiens, les données sont beaucoup plus succinctes. Il est indéniable que dans de nombreuses régions du globe les espèces d’amphibiens sont en déclin, voire en voie d’extinction et plusieurs études conduites aux USA font en même temps état d’une augmentation de la fréquence d’anomalies morphologiques en particulier chez les grenouilles. Mais d’autres facteurs que les produits chimiques pourraient en être responsables, comme l’infestation par des trématodes, ou encore l’augmentation de l’irradiation UV en raison de l’amincissement de la couche d’ozone stratosphérique.

Les reptiles sont également des espèces sur lesquelles peu d’études sont réalisées. Plusieurs observations ont cependant mis en cause la pollution chimique dans des troubles reproducteurs chez les reptiles aquatiques. Ainsi, après un déversement accidentel de produits organochlorés et autres polluants de type PCB en Floride, on a constaté une baisse de près de 90% de la population d’alligators, avec parallèlement baisse de la spermatogenèse et de la concentration plasmatique en testostérone, augmentation de la concentration en 17b oestradiol et de la fréquence des anomalies des organes sexuels chez les jeunes. 

Chez les oiseaux, la raréfaction de certaines espèces est mise en relation avec la contamination de leur environnement et de leur alimentation par les pesticides organochlorés, responsables entre autres d’une accélération de la dégradation des stéroïdes.

 Chez les mammifères, des chercheurs canadiens ont relevé une masculinisation des populations d’ours noirs et bruns exposés aux PCB, mais c’est surtout chez les mammifères marins que  la responsabilité des perturbateurs endocriniens semble fondée. En effet stérilité et pathologie de l’utérus ont été corrélés chez  les phoques de la Baltique à la contamination du milieu marin. 

Quelle que soit l’espèce et le niveau systématique, la phase de développement est une période critique, pendant laquelle l’organisme est plus vulnérable. Chez les mammifères, la diapause embryonnaire qui existe chez certaines espèces (mustélidés, chevreuil, chauve-souris, phoques…) représente une étape particulièrement sensible à l’impact des perturbateurs endocriniens. 

 

Les effets redoutés en médecine humaine

Les études épidémiologiques mettent en évidence dans les pays occidentaux

-        une baisse de qualité et de quantité du sperme depuis une cinquantaine d’années

-        une augmentation de la fréquence des  cancers du sein, des testicules et de la prostate 

La pollution de l’environnement n’est bien sûr pas le seul facteur en cause, mais les observations relevées sur la faune sauvage conduisent les scientifiques et les pouvoirs publics à prendre très au sérieux la possible intervention ou responsabilité de perturbateurs endocriniens.

Ce sujet fait donc l’objet de gros efforts de recherche pour identifier les substances en cause, leur mécanisme d’action, la relation dose-effet, les niveaux d’exposition,… Les domaines d’investigation sont immenses !

 

Les animaux domestiques peuvent apporter une contribution dans l’avancée des connaissances. Ainsi une équipe de l’INSERM a réalisé aux Haras Nationaux une étude de la qualité du sperme des étalons (Trait breton et Anglo-arable). Une diminution significative du volume séminal a été observée avec le temps (environ 2% par an) sans baisse du nombre de spermatozoïdes (Multigner et coll. 2000). La présence de substances antiandrogènes dans l’environnement est  évoquée . 

Les PE dans l’environnement vétérinaire

 1° ) Les médicaments

L’épandage des déjections animales peut contribuer à la pollution des sols et des eaux, en apportant des hormones d’origine physiologique et thérapeutique. Mais les molécules naturelles se dégradent rapidement. C’est pourquoi le risque pour les nappes souterraines est insignifiant et la contamination des eaux superficielles par ruissellement des effluents d’élevage représente une contribution très mimime en regard de l’apport d’origine anthropique par les rejets de station d’épuration.

L’usage des hormones en médecine vétérinaire est en effet  très limité même s'il est difficile de l’évaluer précisément.

Les médicaments hormonaux vétérinaires sont représentés, chez les animaux de production, uniquement par la progestérone et les progestatifs de synthèse. L’usage des oestrogènes (essentiellement oestradiol et parfois éthynyloestradiol), des androgènes et des antiandrogènes ne représente qu’une part très marginale chez les animaux de compagnie et de loisir.

Les hormones endogènes et  médicamenteuses sont excrétées sous forme glucurono ou sulfoconjuguée inactive, cependant la déconjugaison  est possible dans le milieu extérieur. La demi-vie des oestrogènes dans l’eau et les sédiments est brève (1/2 vie 2 à 6j), mais leur présence dans l’eau est maintenue par une introduction continue dans l’environnement.

D’autres médicaments que les substances hormonales peuvent présenter un effet perturbateur endocrinien, comme par exemple le kétoconazole, qui a un effet antiandrogène par inhibition des monooxygénases testiculaires.

 

2°)  Les pesticides

Plusieurs pesticides sont suspects de posséder une telle potentialité : outre la plupart des insecticides organochlorés qui sont maintenant interdits, la suspicion porte sur les pyrétrhinoïdes, et sur le fipronil activateur du catabolisme hépatique des hormones thyroïdiennes

Parmi les herbicides, on peut citer le linuron, les triazines, le 2,4 D, et parmi les fongicides, les dithiocarbamates (thiram) et la vinclozoline.

 

3°) les détergents

Les alkykphénoléthoxylates sont des substances artificielles tensioactives, qui ont également utilisées pour leurs propriétés émulsifiantes et mouillantes mises à profit dans l’industrie textile, dans les détergents ménagers, dans les cosmétiques, comme adjuvants de pesticides… jusqu’à ce qu’on se rende compte de leurs effets oestrogéniques. Ces composés ont été inscrits « substances dangereuses prioritaires pour l’environnement » et interdits en Europe depuis 2005 pour la plupart de leurs utilisations. On pouvait les rencontrer jusqu’alors dans les produits de traitement des trayons.

Leurs usages sont très restreints aujourd’hui, et les flux entrants sont le fait de produits importés.

Les produits initiaux sont rapidement dégradés en nonylphénol ou octylphénol, et ces composés à chaîne carbonée plus courte ont une activité de type oestrogénique nettement plus marquée que la substance parentale.

 

4°) les retardateurs de flamme

Ce sont des composés organiques bromés (polybromodiphénylethers) qui permettent de ralentir la progression du feu. Ils sont très répandus dans les produits du quotidien : mobilier, plastiques, textiles, peintures, ordinateurs, télévision…et donc sûrement sur le bureau ou dans la salle d’attente du cabinet vétérinaire…

Ces substances  sont très peu volatiles et très peu hydrosolubles. Dans les cours d’eau, elles se lient donc à la matière organique des particules et contaminent durablement les sédiments, puis s’accumulent dans la chaîne alimentaire. On les retrouve au final dans tous les composants des écosystèmes aquatiques et terrestres.

La perturbation endocrinienne porte non seulement sur le développement sexuel, mais aussi sur le fonctionnement thyroïdien, et des manifestations très diverses sont alors à craindre chez la faune sauvage comme chez l’Homme.

 

La part de l’élevage et de la thérapeutique vétérinaire dans la pollution de l’environnement par les perturbateurs endocriniens est vraisemblablement marginale par rapport à celle des effluents domestiques et de l’activité anthropique. Néanmoins, la connaissance de cette problématique peut permettre au vétérinaire de contribuer à  en limiter l’impact.  Les observations épidémiologiques à l’échelle des troupeaux peuvent , à l’instar du suivi réalisé sur les chevaux bretons, participer aux nombreuses actions de recherche en cours et faire ainsi avancer les connaissances sur un sujet encore plein d’interrogations .